vendredi 21 février 2014

DRH - PRATIQUES



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Jusqu'où un DRH peut-il aller pour garder son job ? »
janv 23 2014

© vyskoczilova - Fotolia.com

Témoignage choc d'un ancien responsable RH sur des pratiques peu recommandables. Kevin*, directeur des relations sociales a été licencié de son entreprise pour avoir refusé de signer certains documents. Il raconte sans tabou de quelle façon il avait déjà été amené à franchir la ligne jaune à maintes reprises, comment des décisions concernant le devenir des salariés étaient prises sans qu'il en soit informé, etc. Des confidences peu communes sur des pratiques RH menées au sein d'une filiale de 2000 personnes d'un grand groupe international. Jusqu’où peut-on aller pour garder son job ?

Pourquoi témoigner aujourd'hui ?

Il est rare qu'un directeur des relations sociales d'une filiale française d'un groupe international licencié accepte de s'exprimer sur ce métier de façon critique. Mais je veux évoquer des pratiques, dont je sais qu'elles ont également cours dans un certain nombre de grandes entreprises, et pas seulement là où j'ai exercé ces trois dernières années. Cependant, pour des raisons professionnelles évidentes, il m'est impossible de le faire ouvertement d'autant que je suis désormais résolu à poursuivre mon ancien employeur devant les prud'hommes. Par ailleurs, j'estime que les salariés - voire les représentants du personnel -, sont régulièrement aux prises avec des décisions dont ils n'ont aucune explication. Mon témoignage est une façon de dire : ''voilà, pourquoi un DRH ou un DRS prend parfois des décisions ''absurdes'' ou si peu lisibles dans sa fonction... car il est pris dans le feu de multiples pressions et jeux de pouvoir.

Comment avez-vous quitté votre entreprise ?

Je devais, en l'occurrence signer des délégations de pouvoir pour traiter et négocier avec les instances représentatives du personnel. Le nouveau DRH m'a expressément demandé de signer des délégations anti-datées. Je me suis posé cette question que beaucoup de salariés se posent en temps de crise : jusqu’où peut-on aller pour garder son job ? Cacher ses erreurs, truquer des chiffres, se rendre complice de manœuvres délictueuses ? Ce n’était pas compatible avec mes valeurs, j’ai donc refusé catégoriquement, d'où mon licenciement. Cela faisait des mois que j'étais amené à gérer des situations intenables. Par exemple, les salariés de certains services apprenaient la suppression de leurs postes ou la réorganisation de leur département directement par leurs managers, décidé au siège international et ce bien avant que nous ayons eu l’occasion d’informer le CE. Le service RH l'apprenait en dernier ressort. De la sorte, je cautionnais malgré moi un ''délit d'entrave permanent'' vis-à-vis des représentants du personnel.

Avez-vous effectué des licenciements... et si oui, dans quelles conditions ?

Malheureusement oui, bien que cela ne fasse pas partie des attributions de mon poste de directeur des relations sociales. Néanmoins sur la base de mon expérience passée de DRH (15ans) et de mon éthique, j'ai expliqué, le plus professionnellement possible, tous les tenants et les aboutissants aux salariés touchés. Quand j'estimais le montant d'une transaction très correct, je le disais clairement au collaborateur concerné. Une fois, cela m'a valu une menace de mort de la part d'un informaticien. Conseillé en coulisses par un élu syndical, il avait été, selon moi, beaucoup trop gourmand ensuite dans sa contre-proposition. Finalement le dossier a été confié à un responsable RH junior, le salarié a été licencié et cela a failli se retourner ''dramatiquement'' contre moi. Dans les faits une entreprise a non seulement toute latitude pour se livrer des licenciements individuels (même si elle pressent que pour nombre de dossiers, elle sera condamnée par les juges prud'homaux) mais la baisse des plafonds d’exonérations fiscales et sociales sur les transactions l’y encourage quand il devient plus avantageux d’être condamner à payer des indemnités nettes de charge que de payer une transaction chargée (nous pouvons remarquer aussi que ces arbitrages n’interviennent pas sur les dirigeants, pour lesquels les entreprises n’ont pas changé leurs habitudes de montant). Dans certains cas, le processus peut aller loin dans l'absurde. J'ai lu certaines lettres de licenciement rédigées avec l'aide de cabinets internationaux d'avocat et auxquelles je ne comprenais rien. Ni sur la forme, ni sur l'argumentation juridique. Et j'ai également pratiqué, pour un autre employeur cette fois, des PSE déguisés, en essayant du mieux possible de bien ''traiter'' les salariés ! Mais on dort assez mal pendant une telle période. Heureusement, je connais plus d'anciens collaborateurs qui veulent déjeuner avec moi et que de collaborateurs qui veulent me supprimer !

Et les relations avec les élus ?

Elles étaient intenses, faites d'oppositions multiples et d'alliances tactiques (c'est inévitable quand vous avez en moyenne une réunion tous les deux jours avec les IRP) mais globalement respectueuses (que ce soit du coté direction ou élus, il faut faire la dichotomie entre la personne et le rôle et donc éviter les attaques personnelles). Et c'est le jeu ! Par contre, cela se complique quand vous êtes dans une entreprise où les élus sont considérés comme des salariés non (ou peu) productifs et c'est alors au département qui comptera le moins d'élus syndicaux…Cela créé des tensions entre managers (pour se « refiler » des élus), avec les représentants (sur l’évaluation de leur performance, leur plans de carrière…) et avec les salariés des ''zones franches'' sans élus où les informations sociales remontent difficilement, faute de représentants...

En recherche de poste, quel est votre état d'esprit ?

J'ai encore pleinement confiance dans l'éthique du métier de DRH mais je suis inquiet sur son exercice dans certaines entreprises. Et pour une raison simple, vous êtes de plus en plus souvent jugé sur votre capacité à dire ''non''. Au moindre ''oui'', l'équipe dirigeante débarque dans votre bureau et vous devez argumenter. C'est épuisant. Nous n'avions pas de budget RH par exemple alors quand le CHSCT votait une expertise, les élus me tançaient : ''bon courage pour trouver le financement'' ! Comment être fier, enfin, d'expliquer que la seule action entreprise en matière de prévention des RPS lors de mon précédent poste a été de proposer, faute de moyens et de support, des ''stages de sevrage tabagique'' tandis que des salariés se trouvaient en réelle souffrance dans certains services.

Comment le métier évolue-t-il ?


Si l'on prend l'origine professionnelle de la plupart des DRH du CAC 40, on constate qu'ici, le DRH est un ancien directeur commercial, là, un ancien juriste... Bref, comme si ce n'était pas ''encore'' un vrai métier, en tout cas pas forcément reconnu à sa juste valeur. Pour preuve, je gagnais 120000 euros par an mais ma rémunération était aux environs de la 300 ème place, soit très loin des plus hauts salaires en France. Dans une organisation internationale matricielle [cas de mon entreprise précédente], le DG local doit être un vrai contre-pouvoir, au moins une force de discussion face aux directives du siège international. Sans cela, par répercussion, le DRH local se transforme en un pompier de service. Les compétences sont indispensables mais à condition de disposer de moyens... et d'une certaine autonomie d'action locale !


Un article du syndicat CGT de la CCI ( Chambre de Commerce et d'Industrie ) de la Région Bretagne

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